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Mesurer les coûts d’une mauvaise gestion de l’information : est-ce possible?

Est-il possible de mesurer ce qu’il en coûte à une entreprise, une institution ou un organisme lorsque l’information qu’elle acquiert de l’externe ou créé à interne est mal gérée? Certains se sont déjà avancés sur la question.

Par exemple, à propos de la question particulière de la gestion des documents, on peut lire dans un article du journal français Le nouvel Économiste, daté du 15 mars dernier :

“Selon les études menées sur le sujet, le non-traitement de la masse documentaire en entreprise peut faire perdre 5 % du chiffre d’affaires de cette dernière. On estime également que les collaborateurs d’une entreprise consacrent 20 % de leur temps à rechercher des documents ou à en recréer qui existent déjà”, indique Elie Choukroun, directeur marketing et communication de Ricoh France, société de services de gestion documentaire.

http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/archivage-la-gestion-documentaire-14105/

D’où viennent ces chiffres? Peut-on s’y fier?

Le temps passé à identifier, trouver, et retrouver l’information

D’après le magazine Network World, plus de la moitié du travail d’un employé est consacré à une forme d’utilisation de l’information (information work).

Inondés d’information de toutes les sources, les employés ont de la difficulté à trouver celle qui juste et adéquate, de sorte qu’ils investissent le quart de leur journée de travail à la repérer.

Par conséquent, une organisation peut perdre jusqu’à 10% des coûts reliés aux salaires par des recherches d’information infructueuses et la consultation d’information inutiles.

http://www.networkworld.com/news/2006/102006-search-cuts-productivity.html

Des études recensées par KMWorld indiquent aussi que les « travailleurs du savoir » consacrent entre 15 et 35% de leur temps à chercher de l’information, et trouvent ce qu’ils cherchent à peine la moitié du temps. Ceux qui parviennent à trouver ce qu’il recherchent plus de 85% du temps sont rares. Un sondage indique qu’il ne sont que 21%. De plus, 41% des sondés disent ne pas pouvoir trouver ce qu’ils cherchent dans l’intranet de leur organisation.

Le temps passé à créer de l’information inutilement

Toujours selon les sources du magazine, 90% du travail relié à la création d’information est, en fait, à recréer ce qui existe déjà. Ce temps gaspillé coûterait 5000$US par année pour chaque employé (en 2004).

http://www.kmworld.com/articles/readarticle.aspx?articleid=9534

En fait, chaque semaine, un employé type passe 9,5 heures à chercher de l’information, 8,3 heures à retrouver l’information qu’ils ont repérée et 3 heures à recréer l’information qui existe déjà, selon une célèbre étude de l’IDC sur laquelle Google s’est appuyée pour faire valoir la pertinence de son outil de recherche pour entreprise.

La tâche risque de s’alourdir avec le temps puisque, selon Forrester, le contenu d’information dans les organisations double à chaque année.

L’information est partout, qu’on le veuille ou non

Il fut une époque où « gérer de l’information » signifiait gérer des bases de données et des systèmes centralisés bien organisés. Or, selon Fulcrum Research, 80% de l’information dans l’organisation n’est pas structurée, c’est-à-dire non consignée dans des bases de données ou des systèmes de gestion de contenus (CMS), mais plutôt dans des documents électroniques (Word, PDF, etc.). La multiplication des supports et des plateformes et la démocratisation de l’appropriation des technologies de l’information font en sorte que l’information est nécessairement décentralisée et, en conséquence, difficile à repérer et récupérer aisément.

http://www.4point.com/pdf/internal_search_roi.pdf

Par ailleurs, de plus en plus, on parle aussi de la gestion du savoir (knowledge management), où l’enjeu – du point de vue de la gestion de l’information – est de matérialiser le capital de connaissances qu’accumulent les employés lorsqu’ils sont au service de l’entreprise. Ces connaissances peuvent en effet être consignées sous forme d’information, que ce soit à l’oral ou à l’écrit, ou tout autre forme visible ou audible.

Cependant, au-delà de l’emplacement, il y a aussi l’enjeu de déterminer ce qui doit être conservé et éliminé, pour éviter que l’accumulation de l’information de toutes sortes dans l’organisation ne provoque une overdose de données et de documents qui complexifie davantage le problème du repérage de l’information stratégique. Je vous invite à lire un de mes précédents billets à ce sujet : Il n’y a pas trop d’information, il y a trop de mauvais filtres

Calcul global des coûts d’une mauvaise gestion de l’information

D’abord, le fait de ne pas trouver l’information au bon moment coûte très cher à une organisation. À partir des données établies par différentes études (notamment celle de l’IDC, à ce que l’on peut constater), KMWorld calcule qu’une entreprise de 100 travailleurs du savoir coûtant 80 000$US per capita (salaires et avantages sociaux) gaspillerait environ 6 M$US chaque année à des recherches infructueuses. De plus, le fait de recréer l’information qui existe déjà en coûterait 12 M$US par année.

Ensuite, il ne faudrait surtout pas négliger non plus le coût pour les opportunités manquées à cause de l’impossibilité de trouver l’information stratégique au bon moment. KMWorld suggère qu’il est d’au moins 15 M$US par an, mais dans des domaines hautement compétitifs, tels que dans l’industrie pharmaceutique, il pourrait atteindre 8,5 M$US par jour!

D’ailleurs ces chiffres ne portent que sur les coûts des activités de recherche et de création de l’information à l’interne; il ne considère même pas ceux reliés aux sites Web de commerce électronique mal conçus, où l’information difficile à trouver pour le consommateur occasionne des pertes considérables.

Je me permet de faire une simple addition de chiffres cités ici pour calculer le coût global minimal pour une entreprise de 100 travailleurs du savoir (80 000 $/an en dépenses de salaires et avantages sociaux) : il serait d’au moins 33 M$US par année.

Des choses qui ne se calculent pas, mais qui n’ont pas de prix

Le fait de ne pas avoir eu l’information au bon moment, ou encore se baser sur la mauvaise information, peut aussi causer des désastres au niveau informationnel dont l’ampleur est difficile à chiffrer, dont certains peuvent affecter gravement le positionnement de l’organisation, voire causer sa perte.

Un exemple? Imaginez le coût astronomique pour la NASA d’envoyer une sonde spatiale pour explorer la planète Mars, qui se solde en un échec à cause d’une bête confusion du point de vue des unités de mesures employés : le système métrique versus le système anglais? Cette bête erreur était basée sur une information erronée… ou plutôt incomplète! La bonne information n’était pas disponible au bon moment!

À l’inverse, il est tout autant difficile de mesurer les bénéfices d’une saine gestion de l’information, notamment reliés à l’augmentation du temps de qualité à réfléchir et à stimuler l’imagination des employés qui sont plus alors productifs avec une utilisation plus efficace de l’information.

http://www.kmworld.com/articles/readarticle.aspx?articleid=9534

Est-ce que ça vous donne des pistes de réflexion?

Félix Arseneau


Pour consulter la célèbre étude de l’IDC, on peut la trouver ici (grâce à Google!) : http://ejitime.com/materials/IDC%20on%20The%20High%20Cost%20Of%20Not%20Finding%20Information.pdf

11 commentaires sur « Mesurer les coûts d’une mauvaise gestion de l’information : est-ce possible? »

  1. A mon avis cela pourrait être possible pour toute Entreprise ou Organisme qui se soumet régulièrement à des exercices de suivi et évaluation de ses activités. Et comment exactement? Je dirais en se basant sur des indicateurs simples clairs et surtout quantifiables.

  2. Je dirais même plus, si on instaurait les mêmes indicateurs de performance dans plusieurs organisations on pourrait comparer les résultats. Une manière de rendre tangible notre domaine qui n’est pas facile à vendre. Les hôpitaux constituent un bon exemple quant à l’utilisation d’indicateurs communs (ex.: temps d’attente, nombre de patients à l’urgence).

    1. J’ignore si on peut appliquer les mêmes indicateurs d’une organisation à l’autre dans l’ensemble des industries — leur mission et leurs valeurs pouvant varier grandement — mais certainement que les hôpitaux, de par leur nature très semblable d’un établissement à l’autre, sont un milieu propice à une évaluation avec des indicateurs de performances comparables. Merci pour le commentaire.

  3. Felix,
    Bravo pour cet excellent article et pour vos conclusions très pertinentes. Je suis spécialisée dans le domaine du records management qui s’attache à maîtriser le flux et la conservation des documents engageants (traduction que j’ai choisie pour traduire records). J’ai pu analyser que, comme vous le dites le problème central et premier est bien celui de déterminer ce qui doit être conservé. Notre rôle de professionnels de l’information doit se situer d’abord à ce niveau : aider les organismes pour lesquelles nous travaillons à en concevoir les filtres puis les outils de gestion.
    Quant aux indicateurs évoqués dans les commentaires précédents, pourquoi ne pas travailler ensemble à l’élaboration d’un outil qui permettrait l’évaluation des risques et des coûts ! Avis aux volontaires !

    1. Le meilleur moyen de connaître les coûts et d’évaluer les risques d’une organisation à l’autre est sans doute de faire régulièrement des études de cas et de les comparer entre elles pour faire des estimations qui soient à jour. Je pense qu’il serait difficile d’établir des indicateurs précis et « durables » à partir de généralités et de pures équations mathématiques. La réalité des organisations est complexe et évolue très rapidement, surtout dans le monde de l’information. En tous cas, j’aimerais bien qu’on me prouve le contraire!

      Ce que j’ai relevé dans mon billet sont des idées générales tirées justement d’études (je l’espère!), qui doivent être relativisées par la suite en fonction des organisations propres, c’est-à-dire avec leur propre réalité, leur propre mission, leurs propres valeurs, leurs propres environnements interne et externe, leur propre culture, leurs propres ressources, etc.

      1. Bonjour a tous,

        Je suis un spécialiste des techniques de Lean management. J’ai transposé ces techniques d’amélioration de la productivité dans le monde des Ti. En effet, à partir du moment ou on considère qu’un travailleur de l’information est en soi même un système de production, c’est à dire une machine à produire de la valeur, au même titre qu’une machine de production dans une usine (humanisme mis de coté), cela permet d’approcher le problème sous un angle très direct concentré sur la productivité à son état brut. Si on associe à cette science, la science de l’organisation du travail qui permet de modéliser à sa plus simple expression le schéma de travail de tout travailleur de l’information, on obtient un modèle de base sur lequel appliquer ces dites techniques du Lean management. Et ainsi travailler sur un modèle commun à n’importe quel type de travailleur de l’information pour n’importe quelle organisation. Car en vérité, seul le domaine d’activité change entre plusieurs travailleurs qui se disent « différents » des autres mais les besoins de travail de base restent exactement les mêmes. Et donc, les gaspillages d’effort et de délai les mêmes, tout secteur d’activité confondu. Donc les indicateurs de performance les mêmes, et les solutions les mêmes.

        Au plaisir,
        Christophe.

        1. D’abord merci de présenter un point de vue qui dépasse mon champ de compétence et que je trouve très intéressant. Ce que vous dites m’apparaît sensé lorsque l’on considère strictement la productivité du travailleur de l’information, mais ma question concernait les coûts globaux d’une mauvaise gestion de l’information à l’intérieur d’une organisation.

          Par « mauvaise gestion de l’information », j’entend notamment tout ce qui fait en sorte que l’information n’est pas facilement accessible, utilisable ou compréhensible, en général, et pour l’ensemble des employés. Cela dépasse le travail de l’individu en soi.

          Il est tout à fait vrai que le travailleur d’information a son propre « système d’information » et ses propres comportements informationnels (habitudes à créer, transformer, choisir, diffuser (etc.) l’information), mais il évolue aussi dans un « système d’information » plus large, un « environnement informationnel » et organisationnel spécifique, sur lequel il n’a aucune emprise.

          Si le travailleur de l’information a une méthode de travail qu’il peut être appelé à changer, l’organisation a elle aussi un rôle à jouer dans la manière dont on va créer, organiser, choisir, diffuser (etc.) l’information à l’interne, car l’utilisation de l’information n’est pas qu’individuelle : elle a un impact sur le travail des autres.

          Donc, oui, vous avez raison que le travail d’un employé peut être amélioré pour limiter les coûts, mais ce serait une erreur de se limiter à l’individu comme unique responsable d’une mauvaise gestion de l’information. L’organisation fait ses choix aussi, et les employés, trop souvent, les subissent.

          Ceci étant dit, je trouve cet échange très pertinent, surtout qu’il vienne de tous les horizons. Merci!

  4. Cet article (tout comme les liens suggérés) est aussi précieux qu’important. Merci!
    Puis-je me permettre cette cette remarque triviale? : «L’information est partout, qu’on le veule ou non», dites-vous? Peut-être eut-il fallu écrire «…qu’on le veuille ou non», ou encore, «…qu’on soit veule ou non» 😉

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