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Consulter ses courriels au fur et à mesure pour être productif?

J’ai écrit précédemment qu’il était mieux de consulter ses courriels à des moments précis, pour éviter la distraction et être plus productif.

Or, un article du magazine Inc., paru le mois dernier, prétend le contraire. Selon cet article, les experts de la gestion du temps qui prétendent qu’il faille limiter le nombre de consultation de courriels par jour sont dans l’erreur.

Lire l’article : 3 Reasons the Experts Are Wrong About Email | Inc.com

Après avoir lu et analysé attentivement l’article, je constate que les arguments avancés ne tiennent pas la route. Je me ferai donc un plaisir de commenter chaque argument avancé, et vous dire en quoi ils ne remettent aucunement en question ce que j’avance, comme plusieurs autres spécialistes.

De plus, lorsque ce sera opportun, je proposerai des alternatives aux problématiques soulevées.

Argument No 1 : Une bonne partie de mon travail se passe via le courriel

En anglais : Email is where a lot of my work happens.

L’auteure, Minda Zetlin, affirme que plusieurs d’entre nous dépendons du courriel pour notre travail. Elle dit qu’à titre de journaliste pigiste (independant writer) elle, par exemple, doit faire une série de tâches reliées à son travail (envoyer ses textes, contacter des personnes à interviewer, recevoir des commentaires, envoyer des factures, etc.) et que le tout se passe évidemment par courriel.

Bon, et puis? En quoi est-ce un argument qui rejette l’idée qu’il est plus efficace de consulter ses courriels à des moments spécifiques? Pour au moins deux raisons, rien ne soutient cette idée.

D’abord, l’auteure dit surtout qu’elle doit envoyer des courriels, et on le suppose, à toute heure de la journée. Or, serait-il nécessaire de préciser que « envoyer des courriels » n’est pas la même chose que consulter ses courriels? En fait, envoyer un courriel au moment qui nous convient n’empêche en rien la possibilité de vérifier ses courriels à des heures régulières, comme les experts le suggèrent! En effet, on peut très bien peut faire fi des messages qui sont entrés lorsqu’on envoie un message. Surtout, et par dessus tout, personne n’a dit qu’il fallait envoyer des courriels à des heures régulières!

Ensuite, l’auteure ne glisse aucun mot sur la fréquence à laquelle elle juge opportun de vérifier ses messages, par exemple, pour recevoir un feedback. Est-ce qu’on doit supposer qu’elle laisse son appareil allumé et jette un œil sur ses courriels lorsque survient un message sonore ou visuel, comme bon nombre d’entre nous faisons? Ce n’est pas précisé, et le fait qu’elle ne le mentionne pas ne soutient pas mieux son argumentaire. J’aurais aimé qu’elle dise, par exemple, « moi, j’ai besoin de vérifier mes courriels à toutes les x minutes »… ce que je me serais empressé de mettre en doute de toute façon.

Tout ça pour dire que je ne comprend pas quelle est le lien entre l’affirmation « une bonne partie de mon travail passe via le courriel » — ce que personne ne met en doute (en tous cas, pas moi) — et « je ne peux pas me permettre de consulter mes courriels uniquement quelques fois dans la journée à des heures régulières ». L’auteure ne l’explique pas, et donc, son argument manque de précision. En ce sens, et pour toutes ces raisons, ce n’est pas un argument valide.

Argument No 2 : Mon équipe serait moins productive si je ne vérifiais pas  mes courriels

En anglais : Not checking my email would make my team less efficient.

L’auteure suggère que le courriel permet notamment d’écourter la prise de décision, et que ne pas répondre dans de courts délais en retarderait le processus. C’est sans doute en partie vrai, en principe.

Sauf que, par la suite, elle reconnait elle-même que certaines décisions ne sont pas toujours urgentes, donc qu’il ne serait pas si néfaste que la réponse survienne le lendemain, par exemple.

Elle dit par contre que, dans certains cas, ça pourrait être plus urgent.

Encore une fois, je ne saisis pas trop la logique derrière ce raisonnement. Si quelque chose est vraiment urgent, pourquoi utiliser un moyen aussi peu fiable que le courriel?

À ce que j’en sache, le courriel est un très mauvais moyen de contacter quelqu’un en cas d’urgence, simplement parce que, à chaque fois qu’on écrit et envoie un courriel :

  • il faut prendre le temps d’écrire le message, et voir à ce qu’il soit clair (ne pas oublier le champ « sujet » ou « objet ») et s’adresse aux bonnes personnes (champ « à » ou « cc »/ »cci »);
  • il peut survenir un problème technique lors de la rédaction (appareil lent, qui plante, etc.), l’envoi (problème de connexion au serveur) ou la réception du message;
  • il faut s’assurer (ou supposer) que les gens aient accès à Internet et à leurs appareils de communication (ordinateur, tablette, téléphone, etc.) au moment de recevoir le courriel, etc. Rien ne garantit que la personne est disposée à recevoir le message dans les secondes où il est envoyé. J’ose espérer que nous ne sommes pas toujours accroché à notre téléphone ou notre ordinateur!

Comme on peut le voir, le courriel n’est pas du tout indiqué pour signaler une situation d’urgence. Il peut d’ailleurs très mal traduire le sentiment d’urgence, et très mal communiquer ce qui est attendu. Donc, pour moi le courriel est à éviter dans ce cas. Le téléphone ou le message texte est sans doute un meilleur outil pour le faire, puisqu’ils nous incitent à être brefs et instantanés.

Même dans les situations semi-urgentes, ces moyens de communication pourraient être d’excellents outils pour avertir le destinataire de vérifier un courriel important qui vient d’être envoyé, et ce dans les plus brefs délais, pour connaître les détails.

Dans des situations non-urgentes, il est quand même possible d’être efficace sans être obligé de se laisser distraire. Par exemple, vous pourriez déterminer, avec vos coéquipiers, un ou plusieurs moments de la journée où vous seriez tenus de consulter vos courriels du bureau. Par exemple, une fois à 10h15, puis une fois à 14h30, chaque jour. De cette façon, tout le monde sait quand les courriels les plus importants sont sensés entrer. Pour ne rien manquer, on peut se créer des alertes dans son calendrier, par exemple.

De plus, il pourrait être pratique de se doter de « codes » pour déterminer la nature du suivi attendu. Par exemple, un message concernant le « projet X » pourrait être identifié comme tel dans le sujet du message, suivi de ce qui est attendu et quand. Par exemple :

Projet X : rencontre avec le client – vos disponibilités d’ici demain

Connaissant les messages avec de tels mots-clés, il serait plus facile de les repérer et les traiter en priorité. Ainsi, on pourrait laisser de côté les autres messages, et les consulter à la période qui était prévue pour les messages réguliers.

Donc, pour la question de la rapidité ou de la productivité, voilà un autre argument déboulonné.

Argument No 3 : Je pourrais manquer des informations importantes!

En anglais : I might miss information that I need

N.B. J’ai traduit volontairement « information that I need » par « information importante », puisque je crois que ça traduit mieux ce que l’auteure avance, et surtout parce que je crois qu’un « besoin d’information » ça n’existe pas. Ce sera un autre débat.

Ici, l’auteure suggère qu’elle préfèrerait que son travail de rédaction soit interrompu par un courriel si une information importante survenait, tel un changement de dernière minute. Est-ce bien cela?

En fait, ce n’est pas tout à fait ce qu’elle écrit. Elle parle d’une fois où elle s’est arrêtée pour lire ses courriels pour prendre une pause d’écriture. Puisque, dans un message de la rédactrice en chef, on lui avait demandé de ne pas inclure une certaine source qui était « un peu trop souvent » utilisée, elle dit avoir sauvé beaucoup de temps de révision. Elle s’apprêtait en effet à utiliser plusieurs citations de cette source.

Bon, là, je trouve ça un peu tiré par les cheveux.

D’abord, cet argument se base sur un seul événement, qui me semble très particulier et très singulier, vous ne trouvez pas? Combien de fois ce genre de situation peut arriver dans toute une carrière? D’ailleurs, ne fait-il pas partie de la vie d’un rédacteur ou d’un écrivain de devoir réviser plusieurs fois un contenu? Bref, est-ce si problématique que devoir à l’occasion réécrire un texte?

Ensuite, elle parle de vérifier ses courriels lors d’une pause. Et alors? Est-ce qu’on a dit que c’était mal de le faire? Est-ce que c’est la même chose que de vérifier ses messages à tout bout de champ? Il me semble bien que non, dis-je candidement.

Enfin, et surtout, le travail d’écrivaine ou de rédacteur n’exige t-il pas d’être pleinement concentré sur ce que l’on fait? Ça m’étonne que ce soit une personne de ce métier qui revendique à tel point son « droit » à surveiller ses courriels, s’il en est un.

Au fond, l’auteure peut bien adopter le mode de fonctionnement et le rythme de travail qui lui convienne. Qu’elle regarde ses courriels deux, dix, vingt fois par jour, c’est bien elle qui décide, ça lui regarde bien. Je ne suis pas là pour juger non plus de ce qui est susceptible de la déconcentrer ou non.

Chose certaine, par contre, il ne faudrait peut-être pas confondre les notions de « vérifier continuellement ses courriels » et les vérifier plusieurs fois par jour. Corrigez-moi si j’interprète mal ce qu’elle avance dans son introduction, mais ne confond t-elle pas ces notions, en disant qu’il est plus efficient de regarder ses courriels « à la journée longue »?

Je la cite :

Here are three reasons why checking your email all day long makes me more–not less–efficient.

La question de la nuance entre les deux idées restera en suspend… pour le moment.

En conclusion

En bout de ligne, c’est à chacun de déterminer à quelle fréquence on doit vérifier ses courriels, en fonction des exigences de son métier.

En revanche, ce serait un leurre de croire que :

  • parce qu‘une bonne partie du travail passe par le courriel, il faut nécessairement le vérifier continuellement;
  • pour qu‘une équipe soit efficace, il est impératif d’envoyer et de surveiller constamment l’information par courriel;
  • le fait même de ne pas avoir l’information « importante » tout de suite va nécessairement nuire à notre travail.

Soyons clairs, je crois quand même que recevoir ou avoir accès à l’information à temps est un facteur-clé de productivité, cependant ce n’est pas en étant constamment distrait par de l’information qui n’est pas nécessairement opportune que l’on assure cette productivité. Bien au contraire.

Il faut plutôt trouver les meilleurs moyens de communiquer l’information importante aux bonnes personnes, au bon moment. Le courriel est un moyen parmi tant d’autres. Ce n’est pas une plaie en soi, ni une nécessité absolue. C’est un outil. À nous de tirer partie efficacement de cet outil, parmi un ensemble de moyens à notre disposition.

Félix Arseneau

Catégorie : Utilisation du courriel

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