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Critique de « L’infobèse »

Il y a presque 4 ans déjà, je réagissais à la lecture d’un article de Mac Slocum à propos de la surcharge informationnelle.

Rapportant les propos de Clay Johnson, il me faisait comprendre le sens du terme infobésité, c’est-à-dire que l’apparent « surplus » d’information est dû, en fait, à une surconsommation d’information, et non au fait qu’il y ait « trop » d’information.

J’avais aussi présenté les propos de Caroline Sauvajol-Rialland, à propos de l’importance de bien choisir ses sources d’information.

À lire : Il n’y a pas « trop » d’information : il y a trop de mauvais filtres

Or, voilà que le cabinet de gestion de l’information dirigé par Madame Sauvajol-Rialland, So Comment, a lancé jeudi dernier un « film » qui vise à sensibiliser le public à l’enjeu de notre trop grande consommation d’information.

En fait, la plupart d’entre nous verrons plutôt ce « film » comme une courte « vidéo » ou une capsule promotionnelle (voire publicitaire), puisque sa durée est de moins d’une minute (55 secondes, pour être exact), et qu’elle se termine par le logo de l’entreprise.

Cependant, s’il s’agit bien d’un « film », aussi court soit-il, L’infobèse (titre annoncé) mérite bien une critique.

Synopsis

Un homme, l’archétype travailleur dans notre société du savoir, passe sa journée à consommer de l’information comme de la nourriture.

Dès le réveil, on le voit s’empresser de saisir une barre de chocolat, sur laquelle on peut lire « fast news », représentant de toute évidence les premières nouvelles qu’il visionne – alors qu’il est encore au lit – sur son téléphone intelligent.

Au petit déjeuner, lait, céréales et jus d’orange représentent à leur tour d’autres sources d’informations matinales, qu’il consomme – avec empressement – sur sa tablette électronique.

Alors qu’il court sur le trottoir, en lisant le journal, on peut apercevoir sur le verre de carton qu’il tient (vraisemblablement un café), le symbole « # » – qui renvoie sans doute aux hashtags (ou mots-clics) de Twitter.

Arrivé au bureau, c’est la surdose d’information, où tout est entremêlé. Il avale en rafale boisson gazeuse, hamburger de restauration rapide, friandises, etc. À la fin, l’homme semble avoir fait une indigestion.

Critique

Si vous avez lu le dernier billet que j’ai écrit à propos du livre de Caroline Sauvajol-Rialland, vous savez déjà que j’ai une grande admiration devant le travail qu’a fait l’ancienne journaliste.

En revanche, pour ce qui est dudit « film », produit par le studio de création GUNFISH, je dois dire que je suis plutôt resté sur ma faim (passez-moi le mauvais jeu de mots).

En effet, puisque j’avais déjà bien saisie la métaphore de la « gloutonnerie » de l’information avec l’article de Slocum, ledit « film » L’infobèse m’est apparu assez peu original de prime abord.

De plus, j’ai trouvé que plusieurs concepts reliés au monde de l’information étaient plus ou moins appropriés dans le contexte, et que les objets qui les illustrent souvent mal choisis.

Enfin, je me questionne sur la capacité du public à faire le lien entre l’homme qui mange avec empressement et leurs propres habitudes de consommation d’information.

Des concepts et de l’utilisation des mots… en anglais

Première chose qui m’agace, d’entrée de jeu, c’est le fait que tous les termes utilisés sur les aliments sont en anglais.

Soit, que des expressions comme « big data » et « spam » soient présentes m’importunent peu, puisqu’elles sont largement utilisées, mais qu’en est-il de « fast news », « daily dose of data » et « extra soft daily news »?

Ces deux derniers étant particulièrement longs, ceci en a complexifié la compréhension pour une séquence aussi courte où les images défilent plutôt rapidement (à l’image de notre société de consommation d’information, sans doute).

Quant à « fast news« , qui apparait en premier sur la barre de chocolat matinale, s’il s’agissait de l’application mobile du même nom (que j’ai du googler pour découvrir), on aurait pu simplement écrire « Revue de presse« , puisque celle-ci porte ce nom en français.

Maintenant, que veulent dirent « extra soft daily news » et « daily dose of data » qui apparaissent respectivement sur le lait et le jus d’orange? Dois-je bien lire « dose quotidienne de données » et « nouvelles quotidiennes ultra-douces »? Non seulement ces expressions m’embêtent, mais le fait même que ces expressions soient utilisées me font sourciller.

Le message passe t-il?

Quand je disais que je me questionne à propos de l’efficacité du message, je réfère par exemple à l’expression « daily dose of data ».

En effet, pour le travailleur moyen, une « donnée » c’est quelque chose d’intangible. À la limite, ça réfère à se qui se trouve dans des machines à calculer. Comment peut-on alors représenter des « données » en un aliment aussi commun que le jus d’orange? Qui se lève pour prendre une bonne dose de « données »?

Maintenant, qu’en est-il de « extra soft daily news » que l’on voit sur le lait? À quoi réfère t-on exactement? À de l’information prémâchée? À des nouvelles de seconde importance? Quel est le message que l’on souhaite passer en faisant référence à ce breuvage, aussi quotidien soit-il? Ça me semble assez peu clair, du moins de ma perspective québécoise.

De l’association entre les concepts et les images

Je crois qu’il aurait été préférable d’utiliser d’autres éléments (ou objets) de référence pour représenter certains concepts. Par exemple, le très pertinent « fresh news » aurait été plus approprié sur le verre de café ou le verre de jus d’orange, plutôt qu’une canette de boisson gazeuse, d’autant plus que l’on parle souvent de « fraîcheur » pour ces aliments. À moins que l’on considère que les nouvelles de dernière heure soient si mauvaises pour la santé à priori?

« BIG DATA« , qui apparait sur le contenant d’un burger bien connu, est un clin d’oeil prévisible, qui s’éloigne pourtant de la réalité de ce qu’on nomme maintenant « mégadonnées » en français. Un supermarché aurait peut-être bien représenté le concept, mais encore une fois, est-ce que l’individu consomme des « données » ou plutôt des informations?

L’objet utilisé pour le « SPAM » pose aussi problème. En général, ce concept réfère à quelque chose d’indésirable, à la fois nuisible et inespéré. Or, l’aliment utilisé pour le représenter, c’est une friandise (ça ressemble à de la gomme à mâcher, en fait, mais c’est difficile à dire), et on voit pourtant l’homme placer volontairement plusieurs morceaux dans sa bouche, donc il faut croire qu’il les désire bien!

Enfin, pour ce qui est du symbole carré « # », que j’associe au mot-clic, il faut malheureusement plusieurs visionnements avant de l’apercevoir et le décoder. Par ailleurs, il laissera bien indifférent ceux pour qui sont encore bien loin de l’univers Twitter.

Parlant de surdose… mais aussi de ce qui manque

En plus de la discutable et trop grande présence du concept de « donnée », il y a, à mon humble avis, une sur-utilisation du terme « news » dans cette courte séquence.

En effet, dans une journée ordinaire, le travailleur de l’information moyen consomme bien d’autres sortes d’informations que des « nouvelles ». Il consomme, entre autres, bien des distractions sur différents médias sociaux et, on l’espère du moins, de l’information reliée à son travail. Celle-ci aurait d’ailleurs très bien pu être illustrée par de la nourriture saine, comme un yogourt.

Malheureusement, la seule référence aux médias sociaux (ici, Twitter, selon mon interprétation) était trop discrète et pas suffisamment claire, justement.

Conclusion

Je suis un assez mauvais critique de film, donc je pourrais difficilement évaluer objectivement la qualité de la réalisation technique.

Ce que je peux dire, en revanche, c’est qu’à mon avis, au-delà de l’idée de représenter l’information comme de la nourriture, les choix des termes utilisés et des objets alimentaires qui sont sensés les représenter me laissent perplexe.

L’exercice de sensibilisation est louable, et l’idée de départ avait sans doute beaucoup de potentiel, mais avec l’utilisation de termes complexes et les mauvaises associations entre les mots et les images, je doute que le message passe aussi bien qu’on le souhaite.

J’irais jusqu’à craindre que le visionnement de cette vidéo puisse être perçue comme une simple capsule humoristique, un bon divertissement tout au plus, et qu’elle soit considérée comme une autre source de distraction. Autrement dit, je doute que les personnes qui verront cette vidéo s’identifient réellement au personnage.

Ceci dit, notre monde a bel et bien besoin de prendre conscience de l’importance de bien filtrer ses informations, donc il faut bien saluer cette initiative de la part de So Comment.

Et vous, qu’en pensez-vous?

Félix Arseneau

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